La ferme où les personnes handicapées mentales et autistes ont toute leur place
Publié le 5 mai 2018
30 avril 2018 / Benoît Vandestick (Reporterre)
L’évolution se produit par paliers. « Mon exemple le plus notable, c’est Camille, se rappelle le paysan. Je lui avais proposé de conduire le tracteur, mais impossible de lui faire lâcher la pédale d’embrayage. Trois jours après, on y retourne et elle commence à lâcher la pédale. Le lendemain, elle était en quatrième, en train de rouler dans les pentes à fond et en rigolant. » La jeune fille partait de loin, elle avait d’importantes difficultés verbales et des apathies. Maintenant, elle est capable de conduire un tracteur et de faire quasiment tous les travaux agricoles. « Je pourrais partir en vacances et lui laisser les clés de la boutique sans aucune inquiétude », assure David.
Mais la progression est toujours fragile. « Par contre, au moindre loupé, on peut très vite régresser,avertit le maître de stage. C’est pourquoi la stimulation est très importante, sans assister les personnes, mais en les poussant à avancer. Et parfois, simplement se taire et écouter. » Comme nous descendons de la colline, un étang apparaît derrière de hauts buissons. Le reflet du ciel gris-blanc et les arbres morts émergents lui donnent un air des plus mystiques. « Cet endroit est fabuleux, dit David. Quand ça ne va pas, j’emmène le stagiaire s’asseoir ici, sur le bord. On est là, l’un à côté de l’autre, sans parler et on reste comme ça durant parfois trois heures. Jusqu’à ce que ce soit le stagiaire qui commence une phrase ou une question. Et je ne tire pas sur la ficelle. Je laisse faire. »
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Source : Benoît Vandestick pour Reporterre
Photos : © Benoît Vandestick/Reporterre
Dans le Morbihan, l’éleveur David Guillemet, lui-même autiste, accueille des stagiaires en situation de handicap mental pour leur enseigner l’agriculture biologique et les aider à progresser vers l’autonomie et l’emploi.
- Ploërdut (Morbihan), reportage
- La ferme de David Guillemet.
« Tout le monde a besoin de se sentir utile aux autres »
Tandis que dehors le crachin tombe, la vapeur du thé s’élève dans le salon, depuis une quarantaine de minutes. Pris dans son histoire, David l’a oublié. « Après mon burn-out je me suis engagé dans l’associatif, relate-t-il. Dans le même temps, mon fils était en lycée agricole et j’ai été élu au conseil d’administration de ce lycée. On m’a accroché à la commission pour les élèves en situation particulière. Des jeunes filles avec grossesse en cours de scolarité, des cas de maltraitance et des élèves en situation de handicap. » Mais le monde des adultes n’est pas moins cruel que celui des enfants : « Un jour, en réunion, un représentant de syndicat agricole a sorti, sans que ça ne dérange personne : “Il y a suffisamment de bordel comme ça dans l’agriculture, on ne va pas en plus s’emmerder avec les débiles”. » David quitte aussitôt la réunion et décide de créer une ferme pour faire travailler des stagiaires en situation de handicap. Trouver un stage est rarement chose facile, mais devient un véritable parcours du combattant pour les élèves atteints de handicaps. Adrien, 15 ans, autiste, étudie dans un lycée agricole classique. Il fera prochainement son premier stage à la ferme de Ploërdut. « On avait beau chercher, on ne trouvait pas de stage, raconte son père. Et puis, on a eu la chance de trouver un article sur cette exploitation dans un journal local. Il y a déjà très peu d’offres de stage pour tout le monde dans l’agriculture et quand on évoque un handicap, les maîtres de stage pensent que ça sera plus difficile à gérer. » Pour Édouard Braine, diplomate paraplégique depuis 16 ans et président de l’association Santiago accessible, qui offre la possibilité du contact avec la nature aux personnes handicapées, l’accès au travail est pourtant essentiel : « Tout le monde a besoin de se sentir utile aux autres, explique-t-il. Tout le monde doit avoir accès à cela. La société doit donc s’organiser pour. » Car la question du stage s’inscrit dans une problématique générale de la difficulté d’accès à la vie en société pour les personnes handicapées.- La ferme de David Guillemet.
« Ils ont une relation avec l’animal qui compense celle qu’ils ont avec l’être humain »
La ferme de Ploërdut se situe au sommet d’une colline. Debout devant la porte de sa maison, David fait remarquer la vue imprenable sur les environs. Les pâturages, les zones humides et leur végétation luxuriante, l’eau qui court dans les vallons. Et le silence infrangible, qui nous invite à ne rien faire d’autre qu’observer. « Le soir, c’est si calme, dit l’agriculteur. On se pose là, devant la maison, et on sait si les bêtes vont bien. » On trouve ici tous les biotopes représentatifs de la région. Une flore exceptionnelle et de nombreux animaux : sangliers, chevreuils, cerfs, lièvres, perdrix et beaucoup d’oiseaux. Aussi de nombreuses bécasses, grâce aux zones humides. Des zones qui abritent également tritons, grenouilles vertes et autres salamandres.- Les vaches de David Guillemet sont de race salers, à la nature réputée docile.
« La stimulation est très importante, sans assister les personnes, mais en les poussant à avancer »
L’agriculteur a mis en place une pédagogie fondée sur sa propre expérience. Le partage de la pathologie permet d’aider au mieux. « Car je sais comment j’aurais aimé être approché », explique-t-il. Les stagiaires débutent avec des missions simples. « Le matin, je compte les vaches, pour voir si le troupeau est au complet, raconte Benjamin. Ensuite, j’aide à distribuer la nourriture dans l’étable. » Jour après jour, David ajoute une mission au stagiaire et place la barre un peu plus haut.
- « Cet endroit est fabuleux, dit David. Quand ça ne va pas, j’emmène le stagiaire s’asseoir ici, sur le bord. »
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